lundi 18 août 2008

Dossier : La filière Lait en Algérie


LE MAGHREB 18 août 2008


Dossier : La filière Lait
En dépit des efforts consentis par l'Etat, le secteur de la transformation du lait est mal armé

En dépit des efforts consentis par l’Etat pour soutenir la filière lait et par là même conserver le pouvoir d’achat du simple citoyen à travers le soutien du prix du sachet de lait toujours fixé à 25 DA, il n’en demeure pas moins que les professionnels ne cessent d’évoquer
les difficultés qu’ils rencontrent au quotidien. C’EST, d’ailleurs, dans un souci d’attirer l’attention des pouvoirs publics que les opérateurs économiques de la filière lait, sous l’égide de leur fédération, se sont réunis en assemblée générale à plusieurs reprises depuis le début de la crise en janvier 2007. Ces derniers, contestent le prix administré dépassé et appellent, à chaque fois, les pouvoirs publics à la vigilance. Les professionnels du lait insistent surtout sur l’impératif d’arrêter une stratégie pour apporter des solutions dans le cadre d’une concertation et éviter l’asphyxie de la filière. D’autres opérateurs soulignent, notamment, l’insuffisance de l’offre de la poudre de lait sur le marché international, la réduction des subventions de la Communauté européenne et la hausse de l’euro par rapport au dinar algérien. Alors qu’elle était vendue pratiquement à 1 800 euros la tonne sur le marché international, la poudre de lait d’une teneur de 26% en matières grasses est actuellement cotée à plus de 2 500 euros, soit une hausse de quelque 40%. Atous ces facteurs vient se greffer l’augmentation de 30% du prix de l’emballage pour certains opérateurs, une hausse qui se répercute directement sur le prix
de vente de ce produit sur le marché algérien. Face à cette crise, l'Algérie a lancé, en 2007, un appel d'offre international pour l'importation d'urgence de 20 000 tonnes de lait afin de juguler la crise sur le marché national du lait. Une subvention exceptionnelle de 111 millions d'euros a été consacrée à l'importation de poudre de lait pour soutenir les prix à la
consommation. Les autorités voulaient maintenir ainsi à 25 dinars le prix du litre de lait à la consommation, en compensant la différence entre le prix à l'importation et le
prix administré. Sur le montant annuel prévu, une subvention de 60 millions d'euros a été libérée pour peser sur le marché, qui connaissait déjà de graves perturbations
depuis plusieurs mois. La grande entreprise publique Giplait avait même tenté de juguler la pénurie en arrêtant sa production des produits dérivés à plus forte valeur ajoutée (fromages, yaourts etc..) au profit du lait en sachet de consommation courante. L’Etat a pris, ainsi, en charge la différence dans le prix de la production versée sous forme de subvention aux producteurs. Ce soutien est estimé à 13 DA par litre de lait, dont 7 DA pour la production, 4 DA pour la collecte et 2 DA pour l’intégration. En sachant que ces subventions ne sont pas la solution à long terme, l’Etat, rappelait à chaque fois, la nécessité de recourir à la production nationale pour combler le déficit en matière de production laitière. Et c’est bien là que réside tout le paradoxe de la filière laitière algérienne qui n’a pas su tirer bénéfice de sa situation structurellement déficitaire en produits laitiers. Le symptôme en est le manque de dialogue au sein d’une organisation interprofessionnelle du lait, dont la création est toute récente. Aujourd’hui, seul le secteur de l’ultra-frais tire son épingle du jeu. Tandis que bon nombre de transformateurs algériens peinent à innover et se cantonnent au lait de consommation, le plus souvent le
lait en sachet. Dans ce contexte, le secteur de la transformation, même s’il peut y trouver un intérêt dans le court terme, paraît assez mal armé pour une plus grande libéralisation des échanges et une sortie du régime des quotas laitiers.

Entre importations, subventions et production insuffisante, une filière qui tourne au petit-lait
L’Algérie est le premier consommateur de lait au Maghreb, avec un marché annuel estimé à 1,7 milliard de litres, un taux de croissance de 8% et une consommation moyenne de l’ordre de 100 à 110 l/habitant/an. Cette consommation augmente encore régulièrement et devrait atteindre au moins 115 litres par habitant et par an en 2010. Le volume de la collecte a néanmoins régressé de manière significative (-18%) pour atteindre le niveau de 107 millions de litres, soit un taux de collecte de 10%, selon des statistiques du ministère de l’Agriculture et du Développement rural. En effet, ce qu’il faut savoir c’est que l’industrie laitière algérienne se distingue par un marché en constante croissance, due à une forte demande qui s’explique aussi par la croissance démographique estimée à 1,6%/ an, l’urbanisation et l’amélioration du pouvoir d’achat du citoyen qui recourt de plus en plus à la consommation du lait. Par ailleurs, la consommation des produits dérivés (yaourt et fromage, glaces), croît aussi fortement grâce à la qualité des produits et à la stabilité des prix sur le marché, mais aussi la diversité de la production. En outre, et dans le même sens, la distribution et la couverture des besoins sont assurées par trois sources : primo le lait cru local essentiellement autoconsommé ou distribué par le secteur informel et artisanal, secundo, le lait pasteurisé recombiné en sachet polypropylène, base de la consommation des ménages urbains, tertio, le lait transformé et conditionné sous emballage divers (bouteille, UHT), de longue conservation.
Une forte dépendance aux marchés internationauxD’autre part, le point noir de la filière laitière en Algérie est que celle-ci est tributaire du marché extérieur des matières premières. Et pour cause, le taux d’intégration du lait cru local demeure faible (10% à 15%). Ainsi la recombinaison de la poudre de lait importé constitue le processus de production dominant. L’intervention de l’Etat, afin d’éviter les pressions, s’est traduite par l’exonération de la TVA sur le lait pasteurisé conditionné en sachet, un prix administré, lequel est fixé par le ministère du Commerce, et la collecte de lait cru subventionné par le ministère de l’Agriculture.
Une production essentiellement bovineLa production laitière en Algérie est assurée en grande partie, environ 80%, par le cheptel bovin, le reste est constitué par le lait de brebis et le lait de chèvre. La production laitière cameline est marginale. En outre, les éleveurs bovins laitiers dispose d’environ 1 300 000 têtes réparties en trois catégories le système de production intensif, dit «Bovin laitier moderne» (BLM), qui se localise dans les zones à fort potentiel d’irrigation autour des villes, la production laitière dite moderne en Algérie repose sur un cheptel bovin de 120 000 à 130 000 vaches importées à haut potentiel génétique, soit autour de 9% à 10 % de l’effectif national, et assure environ 40% de la production totale de lait de vache ; vient après le système de production extensif, dit «Bovin laitier amélioré», (BLA) qui concerne des étables de taille relativement réduite (1 à 6 vaches ), localisées dans les zones de montagne et forestières, les bovin sont issus de multiples croisements entre les populations locales et les races importées. Ce cheptel est estimé à 555 000 têtes, soit 42% à 43% de l’ensemble du troupeau, et assure près de 40% de la production nationale.
Un tissu industriel éparpilléIl faut souligner que le cheptel local, qui représente 48 % du cheptel national, n’assure que 20 % de la production. Pour ce qui est de l’industrie laitière en Algérie, celle-ci était, dans le passé, le monopole de l’Office national du lait (Onalait), structuré en trois offices régionaux ; région Ouest Orolait, région Centre Orlac, et région Est Orelait. L’évolution du tissu industriel laitier a connu trois phases importantes ; pour la période 70/80 l’investissement public a engendré un tissu de 19 usines réparties sur les régions susmentionnées. La période 90/2004 se caractérise par l’évolution du tissu industriel laitier qui a connu 3 phases de développement, l’investissement privé ayant engendré plus de 120 entreprises de taille moyenne et une centaine de mini-laiteries. La période actuelle caractérisée par la privatisation des entreprises publiques amorce un mouvement de concentration et d’implantation des firmes internationales. Il faut reconnaître que les multiples politiques menées par les pouvoirs publics, dont l’Agence nationale de développement de l’investissement, ainsi que le Plan national développement agricole, ont donné une forte impulsion à l’investissement privé. Près de 52 laiteries, dont 19 appartiennent ou appartenaient au groupe étatique Giplait. Par ailleurs, on peut souligner la chute qu’a connue le secteur du lait à partir de 2003. Cette situation est due essentiellement à la détérioration des marges de l’activité de fabrication du lait, suite au renchérissement des prix mondiaux de la poudre de lait, la relative saturation du marché en termes de capacité de transformation, la réforme du code de l’investissement (ordonnance n°01-03 du 20 août 2001) qui a supprimé les avantages liés à la phase exploitation et qui ne réserve ces avantages qu’aux activités spécifiques ou aux régions spécifiques, comme le Sud ou les zones enclavées.
Une gamme à diversifierUn autre pointe très intéressant pour la filière lait, il s’agit de l’état des lieux des produits de gamme. En effet, les entreprises laitières produisent trois gammes de produits : La margarine, les laits et produits laitiers (7 produits), les glaces et sorbets. Il en reste néanmoins que le lait transformé (pasteurisé) domine le marché. Il faut noter que la tendance est vers l’imitation des innovations «Produits» et «Emballage» développées en Europe (notamment les produits alicamenteux de type light, les biofidus. Pareillement aux marchés de l’Europe (France notamment), la gamme des fromages fabriqués en Algérie reste étroite (Camembert, fromage frais, fromage fondu, pâtes pressées). D’autre part, une tendance vers la diversification par le développement de la seconde transformation (produits laitiers) chez les entreprises de petite et moyenne taille. Les grandes tailles se spécialisent dans la deuxième transformation (yaourt, crèmes glacées). Quelques entreprises diversifient leur activité, hors secteur laitier, comme les jus ou les biscuits. Cette diversification obéit à une logique de rentabilisation des équipements et de similitude des process technologiques mis en œuvre.

La collecte ne dépasse pas les 15 % de la production locale
Dans le sillage des nouvelles perturbations qui traversent ces derniers jours la filière, le débat est, à nouveau, relancé sur la lancinante question de l’organisation et du développement du réseau de la collecte du lait auprès des éleveurs producteurs de lait cru à travers le territoire national. Le parallèle mérite, en effet, d’être fait entre la réduction des quantités de poudre de lait fournie par l’Office national interprofessionnel du lait (ONIL), dont se plaignent les transformateurs ces deux dernières semaines, et la capacité de ces derniers (les transformateurs en l’occurrence) à intégrer le lait cru produit localement en substitution à la matière première acquise chèrement sur le marché international. Le lien entre ces deux paramètres s’impose, en effet, à partir du moment où le ministère de l’Agriculture et du Développement rural conditionne désormais les subventions octroyées aux producteurs de lait par la proportion d’intégration du produit local dans le cycle de production du lait pasteurisé en sachet. Pour rappel, le département de Rachid Benaïssa a prôné, depuis quelques semaines une nouvelle démarche dans l’indemnisation des producteurs de lait pasteurisé en conditionnant l’évaluation des indemnités en question par le taux d’intégration du lait local.Ceci n’est pas dû au hasard, car la décision du ministère de tutelle est prise après avoir constaté que la production nationale de lait est relativement importante et avec une utilisation rationnelle des capacités de production, la demande nationale en ce produit de large consommation peut largement être couverte sans le
recours massif à l’importation. Les chiffres fournis sur la situation de la filière lait, il y a deux mois, lors du séminaire organisé à Alger par la Chambre nationale d’agriculture et le Forum des chefs d’entreprise sur la mobilisation des synergies et le rapprochement entre les secteurs de l’agriculture et celui de l’industrie agroalimentaire, laissent déduire que les défaillances persistent à plusieurs niveaux de cette branche d’activité. De prime abord, c’est le volet relatif à la collecte de la production locale qui attire l’attention. Le constat dressé fait état d’un taux de couverture de la demande nationale de 45 % par la production locale, cependant que le taux d’intégration ne dépasse pas les 12 %. C’est, sans doute, pour encourager les transformateurs à utiliser davantage le lait cru que le ministère de tutelle a revu ses barèmes d’indemnisation.Lorsque l’épineux dossier de la collecte a été évoqué, le constat dressé fait état de 10 % seulement de la production locale qui sont collectés. Donc, c’est l’activité de collecte
de lait qu’il y a lieu de revoir profondément. Cette tâche est un trait d’union entre les éleveurs producteurs de lait et les transformateurs. L’activité, en tout cas, est peu attractive sachant que l’indemnité qui est perçue par les collecteurs n’est que de 4 dinars par litre, alors que les transformateurs sont indemnisés à hauteur de 15 dinars/litre et les éleveurs à 7 DA/litre.Eurodéveloppement PME, est l’autre étude réalisée par la Commission européenne sur l’état des lieux de la filière lait en Algérie et qui souligne en substance que «la consommation nationale est couverte à 60 % par la production nationale.Cette dernière couvre en grande partie la consommation rurale, une partie de la consommation urbaine à travers le circuit informel et en partie la transformation industrielle (collecte)».

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